13 janvier 2010

Bercé par les yan cha


Tous ces mois ont passés, la vie a suivi son cours de façon simple mais intrigante à la fois, des suites tumultueuses dans une plaine sans fin où tout semble la même chose à l'infini, où les moindres mottes d'herbes, les terriers de quelque bête que cela soit, les nuages taciturnes qui se frôlent, se mêlent à l'horizon imperturbablement horizontal, ne laissant qu'un sentiment sans fin de plus finir, une stagnation calme. Et pourtant, une sensation d'être porté, que tout est bien, que ça bouge là, en-dessous. La fougère qui dort sous une épaisseur de neige de plusieurs mois. Le printemps est promis.

Ce printemps ne devrait pas être comme les printemps précédents: les récoltes de Darjeeling, Bi Luo Chun et Long Jing, les arrivages à la maison de thé, les dégustations, les enivrement qui se succèdent au fil des tasses. Les feuilles s'éveillant, les fleurs se dévergondant. Non, ce printemps devrait être tout autre. La récolte d'une petite perle rose, de petites mains, petits pieds, yeux brillant, regard clair sur le monde. Le grand cru des récoltes du printemps sera mon premier enfant, celui qui bouge déjà amplement et qui se prépare dans la douce coquille que lui procure mon amoureuse.

Pendant l'hiver, les thés de rochers me réchauffent le coeur. Il fait froid à Montréal. Ces thés me font du bien, ils changent à chaque infusion, parfois une surprise simple, une autre un éblouissement, rarement une déception flagrante. Shui Jin Gui, Da Hong Pao, Shui Xian, Bai Ji Guan sonnent comme les cloches d'un temple dans la vaste campagne blanche de givre délicat. Les glaçons de ma bouilloire se mettent à fondre, l'eau me fait la discussion jusqu'à s'emporter, elle s'ébat sur ces feuilles sombres, leur fait l'amour comme dans les plus beaux rêves, les fait jouir de leurs plus beaux parfums. Abandonnés, liquéfiés, ils m'enflamment. Je ne les connais pas, je les laisse me montrer les découvrir, insaisissables, sauvages. Je suis en amour.